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Chronique d'un stage dans le campo charro

​Le bonheur est encore dans le campo


Le ciel d'extremadura
Le ciel d'extremadura
PREMIERE PARTIE : Le solo du maestro Juan Leal à Istres nous avait tellement emballés, que nous avions envie de le revoir avant un probable reconfinement général. Certes, nous devions partir le dimanche 25 pour rejoindre notre lieu de stage d'entraînement taurin dans le campo charro, mais notre agenda nous le permettant, nous avions décidé de partir un peu en avance pour aller l'applaudir le jeudi à Barcarrota, un petit village de 2000 âmes proche de Badajoz.
Nous avions donc très vite réorganisé notre emploi du temps pour partir le mercredi dans l'après-midi, prendre la route pour rejoindre l'Espagne profonde. À 15h15, la voiture était chargée avec le baùl de la Picker, capes, muletas et surtout le nécessaire du voyageur en pays froid car Salamanca est connue pour son climat très très hostile.
Nous pouvions donc partir après avoir donné une dernière caresse aux toutous. Nous avions devant nous 1400 km à parcourir pour atteindre notre but. Nous avions la chance de ne pas avoir encore été touchés par le virus couronné mais le guzanillo, lui, nous avait piqués depuis déjà bien longtemps et nous faisions une rechute sérieuse !
Nous fîmes les 1000 premiers kilomètres sans ciller, sans même nous en rendre compte, tellement rompus à l'exercice, mais, cette fois ci, nous avions quand même l'impression de courir à découvert sur le champ de bataille, tellement les télés et les sites internet d'information en continu comptaient les morts, les malades et les positifs par milliers.
 Au fur et à mesure de notre avancée, les mesures de confinement et de toque de queda étaient instaurées. Certes, nous nous étions munis d'attestation et de certificats en tous genres pour le cas où un guardia civil tatillon nous arrêterait, mais ça sentait fort le reconfinement général à vitesse grand V. Nous passions entre les tirs et les balles perdues, juste protégés par notre folle afición et un peu aussi par notre microbiote.
À 0h00 nous arrivions à Alcala de Henares en lisière du sud de Madrid qui, depuis quelques jours, était bloqué : personne ne pouvait ni y entrer ni en sortir (sauf les détenteurs de bonnes raisons sur attestation établie en bonne et due forme), mais pouvait encore y mener, entre guillemets, une vie normale à l'intérieur de ces murs virtuels.

Nous passions à quelques kilomètres de nos amis, assignés à résidence, sans pouvoir aller les voir.
Ce foutu bicho avait érigé des frontières plus solides que les plus solides murs de granit du campo de Guadarrama.

Nous décidions donc de nous arrêter pour quelques heures, même si nous avions organisé notre véhicule pour approcher les conditions d’une cabine en business class, nous reprendrions la route le lendemain matin, pour l'extremadura, cette terre située entre Madrid et Séville, déjà andalouse mais encore un peu austère comme le sont les madrilènes.
Après une nuit d’un sommeil réparateur, nous avions calculé qu’il nous restait encore un peu plus de 4 heures à parcourir, ce que nous fîmes, là aussi, sans trop nous en rendre compte, profitant juste de rouler sur ces autovías gratuites et pourtant bien entretenues.
Cette année avait été bizarre, l’assignation à résidence nous avait laissé une envie encore plus grande de battre la campagne. Comme disait mon ami Luis, il fallait partir tant qu’il y avait du chemin !
Sur ce chemin, justement, nous retrouvions les petites cafeterias des bords de route avec leur fameux jus d’orange naturel, mais cette fois, on entrait après avoir rempli le protocole sanitaire : port du masque (pas encore le tuba ni les palmes, mais ça viendrait peut-être un jour) et surtout le fameux gel hydroalcoolique dont nous aurions pu effectuer une étude comparative allant des plus collants aux plus parfumés en passant par les plus ou moins alcoolisés avec leur bidons plus ou moins ergonomiques qui pouvaient transformer ce moment solennel en un bain de pieds plus qu’en procédure de désinfection manuelle.
Quatorze heures, nous voici entrant dans La Albuera, petit village de 2000 âmes à 20 km juste avant Barcarrota, où nous décidions de nous arrêter pour déjeuner. En effectuant une rapide reconnaissance des lieux, afin de trouver un endroit propice pour nous restaurer, nous tombons sur un panneau commémoratif évoquant une bataille pour l’indépendance espagnole qui eut lieu en 1811, où les troupes françaises assistées d’un régiment de voltigeurs polonais se virent infliger une défaite très meurtrière face aux anglo-espagnols-portugais. Ambiance !
Choisissant le bar-restaurant Don Pepe, nous entrons en nous disant qu’il ne faudra pas parler français trop fort de peur que des esprits friands d’histoire ne veuillent continuer à en découdre avec deux pauvres franchutes, perdus dans une terre leur restant éternellement hostile. Mais, arrivés dans le comedor, une télévision hurlant des actualités en boucle, égrenées par une journaliste mannequin « de pasarela » comptabilisant les morts, annonce les nouvelles mesures prises par chacune des autonomies, qui, bien évidemment, sont différentes les unes des autres, cela n’améliorant pas du tout la lisibilité de la situation sanitaire ambiante. La guerre est donc toujours présente, mais cette fois, l’ennemi est un virus qui est en train de nous mettre tous à genoux, nul ne sachant où tout cela va nous mener et en combien de temps. C’est une situation évidemment très anxiogène qui pourrait à la longue affaiblir des organismes pris par la peur et le stress et provoquer bien plus de dégâts qu’imaginés.
Nonobstant, nous nous régalons d’albondigas baignant dans une sauce tomate casera et nous tentons de garder toute notre attention sur cette nourriture savoureuse, essayant de garder un peu de distance sur toute cette agitation. Le vino de la casa souvent « intordable » dans ce genre d’auberge, si l’on n’y ajoute pas la Casera de toujours, se révèle être excellent sans aucun additif. Nous buvons donc à notre périple qui va nous faire sillonner cette Espagne tant aimée.
Après une cuajada tant appréciée de Marie-Reine et un thé vert, nous reprenons le chemin pour les 20 derniers kilomètres nous menant à notre première étape. Sur le chemin, nous apercevons un cartel annonçant un solo du Maestro Antonio Ferrera, prévu à Badajoz, le samedi 24 octobre 2020 ! -C’est-à-dire dans 2 jours ! Un moment de surexcitation nous prend, nous réalisons que compte-tenu de la situation sanitaire très incertaine, il est vraiment impossible de passer à côté car nous ignorons si dans le « monde de demain » il y aura encore des corridas ! En quelques minutes, nous achetons les billets par internet, sans savoir si deux jours plus tard le confinement ne nous interdirait pas d’entrer dans la ville.  On verra bien !
 

La petite arène de Barcarrota
La petite arène de Barcarrota
Barcarrota est, pour ainsi dire, le -Sussargues- de Badajoz : 2000 habitants, petit village organisé en cercle sur une petite colline, ça commence à ressembler à un village blanc, sans complètement en être un, nous tournons dans le village en voiture, pour trouver les arènes. Maurice, qui la veille nous avait gentiment réservé deux places pour la course, nous avait dit avec son joli accent du sud-ouest : « Vous verrez, les arènes sont juste à côté de la Mairie, où il y a la taquilla… ». Pourtant, nous prenions des rues de plus en plus étroites, très sinueuses, croisant des aficionados avec leurs coussins rayés rouge et jaune, qui, eux non plus, ne semblaient pas trop savoir où ils allaient. Nous nous hasardons à en arrêter un qui nous répond « Hombre, moi aussi je cherche mais j’en sais rien ! ». Nous voyant dans des rues de plus en plus étroites, nous appelons au secours le gps qui, par une vue satellite nous indique que les arènes sont complètement au centre du village, adossées à un petit castillo. Ça y est, nous y voilà, c’est le camion immense de Canal Toros qui nous fait comprendre que nous avons trouvé. Je me demande bien comment le chauffeur a pu manœuvrer pour arriver à cet endroit !
Nous nous arrêtons pour saluer l’équipe, réunie devant la grille, David, Germàn et Victoria sont là, papotant joyeusement et nous lisons la surprise dans leurs yeux quand ils nous voient baissant la vitre de notre voiture, arrivant dans ce joli petit village perdu, eux qui nous ont quittés il y a un mois à Nîmes !
Je crois qu’ils ont compris que notre cas était définitivement sérieux, notre aficion et notre admiration pour le Maestro Juan Leal faisant le reste.
Evidemment, il y a aussi d’autres malades français, venus en nombre de Dax, mais, c’est l’ami Fernando, venu en voisin depuis Badajoz qui nous interpelle. Nous sommes heureux de le retrouver et nous nous souvenons d’une feria, voici quelques années, où il nous avait invités, nous escortant dans tout Badajoz pour nous faire passer des moments qui restent de jolis souvenirs pour nous.
Le test de température passé brillamment à l’entrée des arènes nous permet de nous diriger vers les tendidos. Une jeune femme, tout sourire (même derrière le masque ça se voit dans le regard), nous attend au passage avec une mini sulfateuse, pleine de gel hydroalcoolique. Nous nous exécutons en tendant nos mains et allons nous installer bien sagement, une place sur 4 doit être occupée !
Tendidos peints en blanc, la tour du fort en guise de palco pour la présidence, la banda de música venue de Séville, un ciel bleu avec de superbes nuages qui défilent comme ils le feraient en Ecosse et qui peuvent se mettre à pleuvoir plusieurs fois par jour, les caméras sont à poste, David est dans le callejón pour les interviews express, Germán et la Maestra Cristina Sanchez dans leur tribune pour commenter la course, nous avons nos coussins, la doudoune, la veste prévue pour les expéditions polaires, les gants, por si acaso,  ça devrait pouvoir bien se passer.
Cette corrida de 4 toros fait partie de la Gira de reconstrucción de la Tauromaquia, une série de 21 spectacles en mano a mano, pour essayer de palier au très faible nombre de spectacles taurins en 2020. C’est une bonne idée de la Fundación del Toro de Lidia, aidée de Canal Toros ainsi que d’empresas taurines et d’associations de toreros d’éleveurs, banderilleros et picadors. L’idée étant que la tauromachie doit se rénover ou mourir et surtout qu’elle doit attirer des jeunes, avec des prix attractifs, pour leur donner envie d’aller aux arènes. Grand programme !
Partageant le cartel avec le Maestro Ginès MarÍn, le Maestro Juan Leal, au paseo, pénètre dans l’arène. C’est toujours un plaisir de le voir. Le Maestro Julian Guerra est derrière un burladero, dans le callejón, Maurice veille sur son protégé, accoudé à la barrière.
C’est un rendez-vous important pour Juan, la corrida télévisée lui permettant d’être vu au-delà des quelques-uns que nous sommes. Il a besoin d’être vu, promu et apprécié, dans sa trajectoire ascendante.
Le spectacle qu’il nous donne nous permet de nous dire que nous avons eu raison de faire ce chemin, il est énorme, généreux, prenant tous les risques, faisant le show, c’est du spectacle vivant, plein d’émotions comme on aime. Il coupe des oreilles, même si elles se font attendre par un président plus qu’économe d’appendices, malgré des pétitions plus que majoritaires, mais, il est français et l’histoire de cette terre n’est pas propice à récompenser les descendants de Napoléon !
 

Tass le chef de la ganaderia ...
Tass le chef de la ganaderia ...
DEUXIEME PARTIE : Vers 20 heures, nous repartons 300km plus au nord, vers Plasencia, tout heureux d'avoir vu Juan triompher une fois encore. Nous allons vers une autre ambiance, nos amis Jaime et Pituca nous attendent, pour une retraite express au campo, au milieu de vaches limousines, dans la vallée du Tietar. Nous devrions arriver vers 22h.  

Jaime est un bel homme de 80 ans, fin et pince sans rire, gentleman farmer, qui ayant travaillé dans l'industrie du béton , pris par "le petit ver", a voulu devenir ganadero et ça lui a plutôt bien réussi, il a lidié des novilladas qui eurent du succès, jusqu'en France, quelques corridas aussi. Malheureusement, à cause de quelques têtes de ganado manso, tout son élevage connut la mésaventure d'être positif à la tuberculose, il y a bientôt 10 ans. Il dut tout abattre. Ce moment reste encore une vraie blessure pour lui. Alors, sa folie étant chronique, il a quand même voulu reprendre du bétail, exclusivement manso de type limousines. Il est heureux dans sa finca de plusieurs centaines d'hectares, avec Pituca son épouse. Ils se partagent entre Madrid et le campo où ils ont eu la chance de passer le confinement, là, au beau milieu de nulle part.

Jaime vient nous récupérer, dans le petit village de Valdeiñigos, nous le suivons pour quelques encablures et nous voici arrivés, une allée en terre qui serpente et monte vers une colline où nous apercevons la jolie maison en granit. Pituca nous accueille, toujours souriante comme à son habitude. C'est toujours un plaisir de les voir. Ce sont des gens qui savent vous mettre à l'aise immédiatement. Nous allons passer des moments très précieux en leur compagnie. Mais, le véritable chef du domaine s'avère être Tass, un magnifique toutou noir, croisement improbable d'un labrador et d'une boxer, toujours gai, remuant la queue parce qu'il est heureux de vivre. Don Jaime veut le faire obéir, mais Tass fait ce qu'il veut, d'ailleurs Jaime nous dit très sérieusement : " je ne lui donne pas d'ordres ... - je le consulte !!!" avant de se mettre à rire avec nous, bien conscients que nous sommes aussi menés par le bout du nez et du cœur par nos chéris: Pasha, Heidi, Minouche et surtout Mr Caramel, le petit Yorkshire qui n'a plus d'âge, mais qui est bien décidé à tout régenter, pour notre plus grand plaisir !
 
Nous pénétrons dans le salon aux plafonds très hauts, où brûle un beau feu de cheminée, on va pouvoir refaire le monde un verre de vin à la main. C'est un intérieur cossu, très confortable, les couvertures en cachemire achèvent de nous convaincre que le bonheur est au campo. C'est une véritable maison de ganadero, avec des têtes de toros aux murs, des cartels annonçant son élevage, des tableaux taurins et autres sculptures en bronze. Mais, la journée a été longue et vers minuit, nous montons dans notre chambre pour un sommeil réparateur.

 

Le campo de Jaime
Le campo de Jaime
Après une nuit dans un silence total, nous retrouvons nos hôtes, en pleine forme et Tass qui s'enquiert de la qualité de notre sommeil en nous faisant des fêtes au petit déjeuner. Lui, il dort sur un épais édredon écossais qui trône dans la cuisine, de la pure maltraitance animale ! Nous apprécions encore plus les invitations de nos amis à venir séjourner chez eux, car ce n'est pas du tout une habitude espagnole que d'inviter "à la maison". Cela n'en est que plus précieux.
Le programme du jour : paseo en coche pour une visite de la finca, pour voir les installations, le bétail, déjeuner au restaurant Los Rosales, dans le petit village voisin, où l'on fait un cocido madrileño à tomber, sieste et corrida télévisée, en direct de Barcarrota, avec les Maestros Perrera y Galdos. Que veut le peuple !
 
Profitant de la belle lumière matinale, en attendant que nos amis soient prêts, nous nous installons sur la terrasse, d'où l'on domine le campo en contrebas et une chaîne de montagnes alentours, la brume monte peu à peu, découvrant des pâturages où paissent consciencieusement une douzaine de vaches limousines. Le soleil commence à percer, Tass règne sur son monde, remuant la queue pour signifier sa joie de voir des nouveaux visages.
 
Notre visite est très intéressante et nous sommes heureux de constater que notre Jaime saute de la voiture comme un cabri pour ouvrir et fermer les portails. Il a beaucoup plu la veille et il veut aller constater si les retenues d'eau sont remplies. Il va d'un côté de l'autre, c'est un homme heureux et conscient de vivre quelque chose d'exceptionnel.
 
Il n'avait pas exagéré, le cocido est exquis, et lorsque nous rentrons "à la maison", après une petite sieste bien agréable, la cheminée nous tend les bras, on va pouvoir regarder la corrida en privilégiés, bien calés dans le canapé, au coin du feu.
Pituca nous installe on ne peut mieux, elle est heureuse de nous avoir. C'est une belle femme, qui a travaillé dans l'univers de la mode et de la haute couture, mais qui a aussi trouvé le temps d'élever 5 enfants. Elle règne d'une main douce mais de fer sur tout ce petit monde et une ribambelle de nietos qui viennent  presque tous les week-ends passer du bon temps et se délecter de sa bonne cuisine.
 
Nous avons tellement décompressé qu’il semble que nous sommes partis depuis une semaine. C’est ça le vrai lâcher prise. Nous passons une dernière soirée très agréable mais demain, le solo du Maestro Antonio Ferrera nous attend. Allons-nous pouvoir entrer à Badajoz, serons-nous refoulés ? Rien n’est sûr, nous verrons bien !
 
 

La place de Badajoz le matin du seul contre six du Maestro Ferrera
La place de Badajoz le matin du seul contre six du Maestro Ferrera
Samedi matin, nous nous quittons avec le sentiment que ces gens sont des trésors mis sur notre route. Nous repartons vers le sud, pour 3 heures de chemin. Nos billets virtuels sur le téléphone, direction Badajoz, près de la frontière portugaise. C’est la Ruta de la plata qui s’ouvre à nouveau devant nous. Le chemin se fait très rapidement et nous entrons dans Badajoz, pour récupérer nos billets, tant qu’il est possible d’y entrer. Nos masques sur le nez, nous voici à la taquilla. C’est bon, nous avons le Sésame pour le seul contre 6 de l’année en Espagne. Le paseo est à 19 heures, horaire tardif pour un 24 octobre, mais il faut compter avec un match Real Madrid – Barça, télévisé. Ce n’est pas grave, nous attendrons. Les camions de Canal Toros sont là, avec leurs énormes bobines de fil, leurs imposants groupes électrogènes, tous les techniciens qui s’activent. Ça bosse.
 
En flânant dans Badajoz , nous constatons que le covid et la crise économique sont passés par là, tout est soldé ou fermé ou à vendre ! C’est très triste.
 
18h30, devant les portes de la plaza, nous nous prêtons de bonne grâce à la prise de température et au lavage des mains, puis entrons dans les arènes. Il y a une agitation de tarde importante. Nous découvrons que nous serons 1 spectateur chaque 4 places, il fait déjà frisquet mais nous avons prévu l’attirail du parfait spectateur en terres australes.
 
19 heures, le paseo débute, avec un Antonio Ferrera très concentré, mais avec l’envie, ça se voit. Un hommage en piste par les élèves de l'école de Badajoz et c’est parti, le spectacle va commencer !
Et il va nous faire passer 3 heures de pure folie, de beauté, d’inspiration, d’émotions, de baroque, de peurs, de joie, de chair de poule et de olé… Il fallait y être, c’est sûr, on y était !
Si un jour tout cela devait s’arrêter, nous pourrons dire que nous avons soutenu la fiesta brava par notre présence.

Pluie d’oreilles pour une course dont le lot (en pointes ) de Zalduendo était très fort pour cette arène, le Maestro a payé cash, avec son entrega, sa sincérité, sa générosité, devant des toros pas forcément collaboratifs, loin s’en faut. Ce "Monsieur" est un phénomène, il nous a fait du bien, dans ce monde, il y a donc encore quelques baroques romantiques, c’est rassurant !

22 heures, le Maestro Ferrera va donc pouvoir repartir chez lui, en costume de lumières, après être sorti par la grande porte, 6 oreilles coupées, au volant sa Renault 6, qu’il avait garée en arrivant devant la porte des cuadrillas . Un phénomène, je vous dis !
Alors, avec toutes ces images dans la tête, nous aussi nous repartons, vers le nord, jusqu’à la Fuente de San Estéban, et comme le dirait si bien mon copain Jean-Pierre, pilote de Boeing 777 « … horaire estimé d’arrivée 1h30 du matin… », pour nous installer à l’hôtel qui nous hébergera, pendant le stage de tauromachie de la semaine à venir. Nous n’oublierons pas de changer d’heure, sur le chemin …

L’hôtel La Rad est situé à 20km de Salamanca. Un panneau publicitaire perché sur un pylône de 15 mètres de haut, indique sa situation, avec comme logo une muleta éclairée la nuit, on peut la voir de très loin m’avait dit Rafi. C’est vrai, elle est inratable.

la antigua plaza de Vega de Tirados
la antigua plaza de Vega de Tirados
TROISIEME PARTIE :
Dimanche, tous ces kilomètres en si peu de temps commençaient à "s'accumonceler" et un réveil à 10 heures du matin, de la nouvelle heure, fut le bienvenu.
Nous étions en attente du groupe d'élèves pour la fin d'après-midi, nous avions donc quartier libre. Aussi, nous décidions de visiter les environs, Salamanca étant aux dernières nouvelles, interdite d'entrée et de sortie. Avant de rejoindre notre ami Pepe pour le déjeuner, nous avions lu sur la carte "antigua Plaza de toros", il ne nous fallait que ça pour aller visiter.
Quelle surprise, dans ce minuscule village de Vega de tirados, de nombreuses portes et murs sont peints d'images naïves et colorées en trompe-l'oeil. Cela met un peu de joie dans cette journée froide et pluvieuse.  La photo satellite nous indique la vieille placita , tout en haut de la colline. C'est vraiment pour les amateurs amoureux de vieux souvenirs ! Une succession de traverses de chemin de fer ordonnées pour ce que l'on imagine avoir été un lieu où voici très longtemps des gens ont joué avec des toros, ont eu des joies, des rires, des peurs... Des arbres ont poussé au milieu du ruedo, on devine ce qui faisait office de burladero... C'est émouvant. La pluie glacée rajoute au caractère un peu tragique de la scène.
 
Pepe avait eu la gentillesse de nous apporter les capotes commandés par les élèves à Don Antonio, de la sastrería Fermín. Ce dernier étant bloqué à Madrid, nous avions trouvé cette solution de livraison à domicile, le "Pepe Premium" !!!
Comme à son habitude, il nous avait déniché un excellent restaurant pour goûter aux spécialités de la zone. En sa compagnie, nous essayions d'imaginer ce qu'allait être le futur de la fiesta et le vin aidant celui de notre société occidentale... Un individu extérieur aurait pu considérer nos échanges comme une séance du café du commerce, mais cela nous plaisait de deviser de la sorte tant l'absence de San Isidro, cette année, nous avait privés de ces discussions que nous avions habituellement après chaque course.
 
19h, tout le groupe arrive de Nîmes en minibus Mercedes, Clément et Nino de Bordeaux. Ils n'ont pas l'air trop fatigués. Nous sommes heureux qu'ils soient là. En revanche, ils ont faim, c'est un peu tôt pour l'Espagne mais il ne faudra pas les faire trop attendre, capables qu'ils pourraient être de s'attaquer aux assiettes et aux verres vides !
 
Nos chauffeurs Dominique et Jean-Luc sont aussi heureux d'être là, malgré la fatigue, même s'ils sont aguerris à ce genre de réjouissances.
 
Après le dîner, les consignes sont données : petit déjeuner dès 8h, départ à 9h pour rejoindre la ganadería. Chacun regagne sa chambre, demain débute le stage d'entraînement tant attendu.

Campo Cerrado
Campo Cerrado
Le départ était prévu à 9h, tout le monde n'est pas prêt, nous nous devons d'être à l'heure au rendez-vous avec le ganadero que nous ne connaissons pas. -Tant pis, nous partons de l'hôtel pour 50km jusqu'à Campo Cerrado. Ils se débrouilleront avec les gps et les géolocalisations. Seulement, là où nous allons, nous découvrons que le téléphone ne fonctionne pas ou très mal...

Nous rejoignons la Fuente de San Estéban pour retrouver le ganadero. Il est là, nous attend. Il parle parfaitement  le français. Nous devrions être 3 véhicules, il n'y a que nous. Tout d'un coup, nous voyons passer le minibus devant nous en trombe sans s'arrêter, l'autre voiture est loin derrière ! Nous ne sommes pas encore organisés façon cloche tibétaine, éparpillés que nous sommes, ça commence mal !

On démarre du Cruce où nous gardons de si jolis souvenirs et partons direction Ciudad Rodrigo derrière le ganadero. 1km plus loin, passée la gasolinera Cepsa, c'est tout de suite à gauche. Une longue route sinueuse mais large au beau milieu de ce campo sublime, de tous côtés des vaches, leurs veaux et des toros, paisibles, noirs...une lumière du matin, l'humidité sur l'herbe vert tendre, un campo superbe, sous un joli soleil d'hiver, il fait 8 degrés mais c'est tout-à-fait supportable.... Nous y sommes.

Luis qui nous rejoint arrive, manquent toujours les 3 vedettes du quartier, Nino, Clément et Raphaël, tout affairés qu'ils étaient à se pomponner !

Nous entrons par un chemin boueux, longeons le campo d'Atanasio Fernandez et c'est un peu plus loin... Là, plus rien d'autre que les bêtes, le campo, pas ou très peu de couverture téléphonique, plus de Facebook, Instagram et autre Twitter, le lâcher prise est quasi total. On est en plein stage de remise en forme !

A l'entrée du campo, un peu plus loin, un groupe d'une cinquantaine de jolis petits veaux noirs, bien regroupés, tels la cour d'une maternelle, avec quelques vaches monitrices.

Le ganadero nous accueille et nous présente son élevage, pendant que l'on entend des bruits de portes métalliques qui claquent, des vaches qui rouspètent. 2 hommes s'affairent, très concentrés pour préparer la séance du jour : nous reconnaissons le Maestro Juan Leal et son banderillero Agustín de Espartinas, qui lui aussi est matador. Déjà, nous prenons une première leçon d'humilité : parti de Séville à 4h30, Juan est comme on l'avait déjà vu à la Fragua, partout à la fois pour que tout soit parfait. C'est le même qui a triomphé à Madrid, à Bilbao, l'an dernier,  à Istres il y a une semaine et à Barcarrota avant hier; il sait que tout recommence tout le temps, que les succès font plaisir mais ne durent qu'un moment. « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage » disait Boileau, ça pourrait être la phrase du jour.

Après avoir récupéré tous les élèves, la séance peut débuter.
 
Le Maestro Leal donne aux élèves des indications sur le bétail et leurs réactions à la cape et à la muleta . Tout le monde est prêt, tous en piste pour une photo et hop, "tapaos"  pour la sortie de la première vache. Il y en aura 40 sur 5 jours !
 
Le Maestro dirige cette classe avec une grande précision technique, sa gentillesse habituelle et une attention de tous les instants à tout ce qui se déroule autour de lui. Agustín, son fidèle compagnon de route, lui aussi, est très efficace, comme il l'est toujours dans les ruedos . Nous avons conscience que c'est un véritable privilège qu'ils nous consacrent ces quelques jours.

J'espère que les petits le réalisent.
 
Le premier entraînement se déroule de façon très fluide, chacun apprenant quelque chose, le bétail de Don Andoni donne beau jeu, très uniforme, des conditions idéales pour travailler sérieusement la technique et faire des progrès.
 

La Rad avec le logo en forme de muleta
La Rad avec le logo en forme de muleta
QUATRIEME PARTIE :
Notre hôtel était devenu notre querencia pour la semaine. Le toque de queda fixé à 22h avait définitivement calmé toute velléité de vouloir sortir dîner en ville. Nous avions finalement opté pour la formule pension complète, qui pouvait avoir quelque avantage. Ana dirigeait son établissement avec beaucoup d'habileté : l'hôtel aux chambres confortables et chauffées, ce qui n'était pas une évidence dans ces zones de campagne, un immense bar où nous pouvions nous retrouver, masqués, et enfin, un comedor tout aussi imposant, prévu pour les noces, communions et banquets. Elle y proposait une bonne cuisine casera et, si on le lui demandait à l'avance, elle était capable de vous proposer de superbes côtes de bœuf, plus ou moins maturées, cuites à la perfection. Elle avait vécu plusieurs années à Saint Domingue et l'énorme télévision qui diffusait de la musique toute la journée en attestait.  
 
Mais, ici aussi, la véritable dueña se prénommait Dana. C'était une petite chienne cocker, assez rondouillarde, qui régnait sur tout son petit monde. Les nombreux habitués avaient tous une caresse pour elle. C'était un véritable petit phénomène !
 
Notre vie était rythmée : lever vers 7h, certains allaient marcher ou courir, puis petit déjeuner, la séance de tienta de 10h à 14h, le déjeuner, les plus courageux partaient pour un petit footing, vers 20 heures, un regroupement au coin d'un poêle qui livrait une jolie flamme oranger et vers 21h, un dîner bien mérité avant d'aller se coucher, car finalement, les journées étaient bien remplies.
 
Nous avions déjà séjourné dans ce lieu en juillet et commencions à avoir quelques habitudes : les 4eme et 13eme marches de l'escalier qui menait aux chambres grinçaient systématiquement, la minuterie ne nous laissait pas le temps d'arriver à notre chambre, située au bout du couloir, mais  le camarero avait bien retenu ce que nous prenions chacun au petit déjeuner. Ana savait quel fauteuil nous préférions, bref, nous étions comme à la maison. Certes, nous étions à 50km de l'élevage, mais vraiment, nous étions comme des coqs en pâte et n'avions nulle envie d'aller chercher ailleurs !
 
 

La maison vitrée du ganadero
La maison vitrée du ganadero
Lors de notre arrivée à la ganadería, la surprise très agréable fut de découvrir que le ganadero avait eu l'excellente idée d'installer 2 modules préfabriqués, l'un sur l'autre, dont le plus haut était totalement vitré, ce qui permettait aux quelques privilégiés venus assister aux tientas de pouvoir avoir une vue du campo à 360°, totalement protégés du vent et du froid, avec une visibilité parfaite et totale de ce qui se déroulait dans le ruedo. Aussi, nous avons pu nous y installer tranquillement pour constater, jour après jour, l'évolution du niveau de chaque élève.
 
 

Le pupitre du ganadero
Le pupitre du ganadero
Don Andoni, pour sa part, était retranché juste en face, dans un petit refuge abrité, équipé d'un pupitre d'écolier, comme nous en avions à l'école primaire, afin de diriger les séances de travail.
 
A la fin du deuxième jour, il vint dire combien il était agréablement surpris de l'excellent niveau des élèves au Maestro Le Sur, qui éprouva une joie mêlée d'émotion qui faisait plaisir à voir.
 
Il nous fit l'honneur de venir déjeuner avec nous et cet amateur d'histoire, fin connaisseur du monde de l'élevage, nous raconta de jolies histoires sur les origines des ganaderias, mais aussi sur les arcanes de la politique agricole commune en Europe, car ce monsieur avait aussi eu une vie politique qui lui permettait de nous expliquer combien tout cela était compliqué et disait-il " ce qui parait n'est pas toujours vrai ..."
 
 
Ce déjeuner avait terminé fort tard et nous croisâmes les élèves qui revenaient pour le dîner au moment où nous sortions du comedor !
 
Les journaux télévisés déversaient toujours autant de mauvaises nouvelles et nous sentions de plus en plus que ce stage serait la dernière escapade au campo avant longtemps.
 
Au matin du troisième jour, une pluie de type crachin breton nous fit comprendre que la journée allait être humide. Dominique pensait être revenu en un instant à Pont l'abbé (Pont ‘n Abad comme on dit là-bas, 83% de taux d’humidité !) et se disait qu'il avait finalement bien fait, voici presque 20 ans, de venir vivre à Nîmes.
 
 

Le Maestro Juan Leal en pleine explication dans le ruedo
Le Maestro Juan Leal en pleine explication dans le ruedo
Les élèves étaient motivés, ils avaient chacun des problématiques différentes à résoudre, mais ils semblaient tous être heureux d'être là. L'ambiance était studieuse, calme et bonne. Chaque matin, le Maestro Leal et Augustín, son banderillero de confiance, partaient en éclaireur, pour préparer la séance, en triant les vaches, se transformant en vaqueros hyper efficaces.
 
Jean-Luc mitraillait tout ce beau monde pour fixer ces instants magiques. De temps en temps, on pouvait apercevoir des toros qui s'approchaient de la placita, entendant sûrement les vaches qui meuglaient depuis le ruedo. C'était vraiment un véritable privilège que d'être ici.

Le chemin menant à la ganaderia
Le chemin menant à la ganaderia
CINQUIÈME PARTIE
Hier soir, l'annonce d'un reconfinement général en France avait fait souffler un vent d'incrédulité, même si nous nous en doutions, nous avions voulu croire, jusqu'au dernier moment, que nous pourrions y échapper.
La nouvelle était tombée alors que le Maestro Juan Leal s'entretenait avec chacun des élèves, individuellement, pour faire un point à mi-parcours, sur ce qui allait bien et ce qu'il fallait améliorer. Il lui restait une journée à passer avec nous, il devait regagner Séville le lendemain soir.
 
Le programme prévu pour cette dernière journée en sa compagnie était un peu différent. Il y aurait une séance de toreo de salón d'une heure, sous la direction du Maestro, avant un entraînement avec les vaches. Mais aussi, le ganadero avait souhaité offrir 2 novillos, un pour le Maestro et un autre pour un des élèves.  Qui aurait ce privilège ? Ce n'était pas un choix à faire par hasard, certains avaient déjà eu beaucoup d'opportunités, d'autres devaient encore progresser pour pouvoir y prétendre. Canten fut désigné, son premier prix d'assiduité aux cours du CFT obtenu récemment ayant aussi pesé dans la balance.
 
L'horaire du départ avait donc été anticipé à 8h45. Nous pensions voir débouler tout notre petit monde au dernier moment pour déjeuner ; que nenni, ils étaient déjà tous prêts, "chauds comme la braise" dirait mon copain Jean-Luc le panadero-ganadero, nous étions les bons derniers du groupe. La motivation de chacun était demeurée intacte.
 
 

Les toros au campo
Les toros au campo
Ce matin,  il faisait gris, mais arrivés au niveau de la Fuente de San Esteban- Fuentes- comme ils disent ici - soleil et ciel bleu. On allait passer un jour d'automne très clément.
En voyant défiler les kilomètres le long de l'autovía, on ne pouvait s'empêcher d'avoir le regard happé vers ce campo : les terres agricoles alternaient du roux caramel au marron chocolat noir, en passant par un rouge groseille, ça donnait envie de croquer dedans. Le campo réservé au bétail déployait toute la palette des verts, la grande humidité du matin laissant l'herbe briller au soleil, on aurait pu imaginer une mer improbable. Les chênes aux troncs torturés paraissaient avoir tous été taillés parfaitement par un jardinier consciencieux, soucieux d'instiller une dose de perfection, dans ce paysage déjà si bien organisé.
Ces milliers d'hectares qui faisaient la richesse de ces régions d'élevages étaient surtout mis en valeur par le bétail lui-même qui grignotait, jour après jour, tout ce qui pouvait se trouver à leur portée. Ceux qui œuvraient véritablement pour l'environnement, c’étaient ces milliers de têtes de ganado, manso y bravo, que des ganaderos apasionados maintenaient contre vents et marées, attaqués qu'ils étaient par des bobos qui se gardaient bien de venir voir in situ ce qu'était la vraie préservation de l'environnement. Ces groupuscules hors-sols ne comprendraient jamais notre amour du Toro et de la nature, tellement la manipulation de leur cerveau par les lobbys arpentant les couloirs de Bruxelles avait malheureusement tristement réussi.
 
Oui, l'annonce du confinement donnait encore plus la conscience du bonheur d'être au campo.
 
Aujourd'hui, être au beau milieu de nulle part était un luxe que peu d'entre nous connaissait.

Un de mes professeurs, voici bien longtemps, me disait toujours : "quand la situation se dégrade, il faut retourner aux fondamentaux..." Ici, nous y étions, c'est sûrement de là que tout repartirait. Du moins, c'était à espérer.
 
Depuis lundi, sur la route de notre salle de classe à l'air libre, nous passions 2 fois par jour devant la ganadería d'Atanasio Fernandez, une impressionnante bâtisse, en haut d'une colline, entourée d'un jardin magnifiquement tenu. Même si ce n'était plus ce que ça avait été, ça restait une légende.
 
Puis, après avoir abandonné le réseau goudronné, nous empruntions un chemin de terre, qui passait juste devant une petite chapelle où le Maestro Manolete aimait venir se recueillir. C'est un lieu chargé d'ondes et d'histoire.  En continuant, nous passions entre de beaux murs de pierres, des piquets de granit et du barbelé, nous indiquant qu'ici vivaient des animaux sauvages.
Certains d'entre eux, non loin du bord d'un des clos, paisiblement regroupés, pouvaient donner un coup d'œil à l'approche, il fallait bien que, de temps en temps, quelques "couillons" viennent les distraire de leurs rêveries campagnardes !
 
Mais, quand on allait visiter un élevage, il y avait une subtilité qu'il fallait connaître : qui allait descendre du coche pour ouvrir et refermer le portail ? Le premier jour, Don Andoni m'avait montré : "Surtout, " m'avait- il dit, : " n'oublie pas de remettre la corde !". Cela m'avait toujours paru amusant, quel que soit le niveau d’excellence de la ganadería, il y avait toujours, à un moment, un mauvais bout de ficelle en nylon, que l'on aurait pu trouver sur une plage, en hiver, qui terminait la fermeture du portail. Un verrou baïonnette en bas, une petite accroche métallique au milieu, un loquet pour fermer le tout en haut, mais, il semblait que si la ficelle n'avait pas été "entortillée" au portail, le bétail pourrait s'enfuir ! Il fallait surtout toujours respecter ce genre de croyances, car ça faisait longtemps que cela fonctionnait, pourquoi allions-nous changer cela !

C'était une journée superbe, un temps comme nous n'aurions pas osé l'imaginer. Les jolies vaches se succédaient, les élèves très concentrés sortaient pour les toréer, ce qui leur permettait de faire des progrès notables, dont chacun avait, peu à peu, pris la conscience.
 
En plaisantant, le Maestro Leal avait dit hier à l’un d’entre eux : - " Manuel, c’est la meilleure tanda de ta vie ! " Il lui a dit aujourd’hui - " c’est la meilleure faena de ta vie ! " … c’est dire le progrès !
 
En fin de matinée, le Maestro Leal toréa le novillo, nous vivions, à juste titre, à ce moment-là, un moment extrêmement privilégié. Tous les élèves observaient avec attention les gestes de celui qui, depuis 4 jours, leur donnait, avec beaucoup de précision, des conseils très pertinents. Nino sortit « de second » et put se rendre compte des progrès obtenus, depuis le début de cette drôle d’année.
Avec le second novillo, ce fut au tour de Canten d’entrer en piste. Il s’en sortit mieux que bien, toujours très appliqué et surtout affichant un joli sourire, qui nous payait de tous les efforts déployés pour mettre en place ce genre d’aventure !

La 32ème vache entra en piste, c’était un joli spécimen qui permit à Valentin de toréer avec douceur. Puis, le bruit avait couru que le Maestro Le Sur fêtait ce 29 octobre, son 42ème anniversaire d’alternative. Une pétition unanime réclama qu’il sorte s’y frotter ! Cela faisait exactement 10 ans qu’il n’avait pas donné une passe ! Mais c’était de bonne guerre et donc il sortit. Il toréa quelques tandas, la vache était très patiente, se laissant faire de bonne grâce, il se régalait, cela se voyait. Mais, soudainement, il trébucha dans un trou de la piste et tomba « à la renverse », la petite vache lui venant dessus, tous les élèves sortirent pour lui venir en aide. Fin des émotions fortes !!! On ne dira jamais assez l’importance de la qualité du ruedo dans les grandes arènes de France et de Navarre !
 
Le quatrième jour d’apprentissage se terminait sur des adios, le Maestro Leal devant regagner directement Séville, conduit par le fidèle Agustín – Agu  – son banderillero de confiance, qui veillait sur lui comme sur la prunelle de ses yeux.
 
C’était encore une bien belle journée que nous venions de passer, les actualités tragiques que nous lisions, dans la voiture nous ramenant à notre hôtel, nous convaincant définitivement que la compagnie d’animaux aussi sauvages soient-ils était bien plus pacifique que celles de nombre de nos semblables sur cette Terre !

La ermita de Manolete
La ermita de Manolete
SIXIÈME PARTIE :
Pour célébrer notre dernier jour au campo Don Andoni REKAGORRI avait prévu un moment convivial, dans la petite maison de verre surplombant son arène, avant le dernier tentadero. Il voulait nous faire goûter ses spécialités de charcuterie, faites à base de cochons élevés exclusivement au campo, à l'air libre et ne mangeant que des glands. Son ami François, un bordelais, à l'accent rocailleux comme on aime, nous avait raconté avec passion comment ces bichos aimaient à décortiquer ces fameux glands, car leur chair était tendre et sucrée, un peu comme pouvait le faire tout aficionado aux arènes avec les fameuses pipas. Non seulement, ils savaient lesquels étaient les plus savoureux, mais ils choisissaient le bon chêne, au bon moment, effectuant une sélection stricte de leurs mets de roi.
 
Le Maestro Leal, ce matin, nous avait envoyé un petit message d'encouragement, pensant à nous depuis Séville, nous qui arpentions l'autovía de Castilla A62, tous les jours, pour rejoindre notre lieu d'entraînement.
 
Tout en nous servant du vino tinto, (il n'était que 9h15) Don Andoni nous conta l'histoire du Club Cocherito, le plus ancien club taurin de Bilbao et du monde, fondé en 1910. C'est une véritable institution, forte de 400 membres, qui depuis un immeuble du centre-ville organise des Tertulias, des conférences, mais aussi des voyages pour ses socios, au campo de Salamanca, à la San Isidro, voire même en Amérique du Sud. À l'année, 3 señoras sont chargées d'accueillir tous les jours des adhérents qui viennent regarder les corridas télévisées ou jouer aux cartes autour d'un café con leche ou d'une liqueur de hierbas.
 
 

Les erales s'approchent
Les erales s'approchent
Évidemment, les embutidos étaient délicieux, cette dégustation au milieu de nulle part revêtait un caractère exceptionnel. François nous promit de nous amener en fin de séance voir ces cochons dans leur lieu de bonheur.
 
Des petits erales noirs s'approchaient de plus en plus de la maison, peut-être commençaient-ils à reconnaître notre manège quotidien, nous garions nos véhicules et ne bougions plus jusqu'à 14h, restant « enfermés » dans les petites arènes. Nous n'aurions surtout pas voulu modifier quoi que ce soit à la quiétude du lieu. De temps en temps, un des jolis toutous de la finca partait courir derrière un petit veau égaré, qui effectuait des ruades rigolotes pour tenter de s'échapper en se faisant des émotions terrrrrrribles (comme dirait Marie-Reine !).
 
Le bétail était de qualité, il permettait aux élèves de découvrir des sensations nouvelles pour certains et de perfectionner les gestes pour d'autres. Les progrès étaient notables pour tous. C'était un fait établi, chacun reviendrait transformé par cette toujours aussi belle expérience.
 
 
 

Le Maestro por derechazo
Le Maestro por derechazo
Ils étaient 9 garçons, âgés de 13 à 23 ans, tous mus par une afición débordante.
Victor le plus jeune n'étant pas le moins doué, ayant l'instinct du placement et de la lenteur face aux vaches et Clément, l'aîné pouvait concourir pour gagner le prix du plus acharné, lui qui effectuait toutes les semaines un aller-retour Bordeaux-Nîmes, juste pour venir s'entraîner avec ses camarades !
Il y avait une vraie fraternité entre ces petits jeunes, même si, c'était bien normal, ils ne manquaient pas de se chambrer joyeusement, comme le font tous les gamins de leur âge.
Valentin faisait des progrès, commençait à avoir des jolies sensations, à être plus détendu, même s'il restait encore un peu court au niveau du poignet. Manuel avait, lui aussi, expérimenté des attitudes très intéressantes. Gauthier, lui, toujours très calme, semblait se régaler en effectuant des passes élégantes. Baptiste s'était inscrit il y a peu, il avait eu la possibilité de sortir tous les jours devant les vaches, avait pu se rendre compte combien c'est difficile, mais avait chaque fois engrangé des connaissances. Le simple fait de devoir diriger une vache vers le portail ouvert en direction du campo n'était pas toujours chose facile. Raphaël avait consolidé ses acquis, c'était une valeur sûre et bien évidemment Canten, depuis juillet dernier, avait passé un cap sérieux. Nino survolait tout cela, ce qui était normal car plus puesto que lui, il n'y avait pas ! Il avait d'ailleurs pu s'inscrire à l'école de Salamanca, la veille, pour revenir vivre ici début décembre, si la situation sanitaire le lui permettait !
 
L'antépénultième vache était tellement bonne que le Maestro Le Sur nous confessa qu'il avait beaucoup regretté que personne ne lui demande de sortir  pour "péguer" une ou deux  jolies passes comme  avec sa vache d'hier !

La ultima
La ultima

 
Enfin, la 40ème vache sort, c'est Gauthier qui a le plaisir de la toréer. C'est une jolie vache rousse, le ganadero donne des indications en français, pour que la vache aille a más : « N'en fais pas trop au début, la faena c'est 10 minutes. Quand l'animal n'a pas de force, il ne faut pas lui changer le côté sinon, il tombe. Il faut construire la faena pour couper les oreilles ! ».
 
Gauthier ralentit le rythme, la vache s'habitue. C'est très technique, mais fondamental. Les passes sont suaves, templées, c'est très beau à voir.
 
Cette petite bête ne saura jamais le plaisir qu'elle nous procure. Au loin, on entend le chant des oiseaux, le meuglement d'un toro et le bruit des sabots de cette jolie vachette blonde sur le sable de la piste.
 
Nino la reconduit dans son campo, il la torée hors de l'arène, comme si plus rien ni personne n'existait autour d’eux. Le temps s'arrête un bref moment.
 
Tout avait commencé un jour de septembre, nous avions reçu un appel du Maestro Leal nous proposant 40 vaches à tienter. C'était une folie comme on les aime, nous venions de terminer les vendanges à Frontignan et l'idée de tailler la route pour retrouver les noirs nous avait définitivement décidés.


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